Avec Nico ça commence à faire un moment qu’on se connaît. À l’époque je faisais les sorties falaise pour le club de Clarensac. Lui il faisait de l’escalade mais c’était un miraculé du vertige. Faut savoir qu’avant qu’on se rencontre il m’a dit qu’il était à peine capable de monter sur un escabeau. Un jour quelqu’un l’a emmené faire de la via ferrata, ça s’est pas très bien passé. Mais comme il était pas du genre à en rester là il a acheté un kit de via et il s’est mis à en faire tout seul, et après ça il s’est inscrit au club.
Après les sorties falaise on s’est mis à faire de la grande voie ensemble. Il voulait apprendre pour devenir autonome. Je lui ai préparé un petit programme de trois jours pour bosser les manips en couenne, faire des petites grandes voies école, et l’objectif final c’était d’aller faire Zébulon, la voie la plus facile des Gorges de la Jonte. Cent mètres de 4c dans un cadre un peu classe. Quand il est arrivé en haut de la grande voie il m’a dit un truc du genre Tu sais Stéphane, la via ferrata a perdu tout intérêt à mes yeux. Ça m’avait bien fait rigoler.
Après ça on est allé faire des éperons au Pic Saint-Loup, le baptême du feu sur coinceurs. Ça lui a plu encore davantage.
Du coup après ça j’ai commencé à lui parler du Caroux. Par chez nous c’est quand même la Mecque pour aller faire des voies typées montagne quasiment au niveau de la mer. Il y a tout, les grandes approches, des longues courses d’arêtes sur coinceurs, quasiment pas de matériel en place, un paysage qu’on se croirait en Corse. La buvette en bas histoire de dire qu’on est quand même dans le Sud, et des voies ouvertes jadis par des grands noms de l’alpinisme français. Autant dire un programme alléchant pour un hédoniste comme lui.
Comme je cours toujours un peu partout le projet a mis du temps à se concrétiser. Mais à l’automne 2023, alignement des planètes, et c’est parti, on y va pour deux jours avec l’objectif le deuxième jour de faire l’enchaînement classique Arête des Charbonniers et Aiguille Déplasse.
Le premier jour, histoire de se remettre dans le bain, on a fait la classique de la Tête de Braque, à l’entrée des gorges d’Héric. Une petite grande voie sans approche quasiment toute équipée mais qui se prête bien à la pose de coinceurs.
Le deuxième jour le moment de l’ascension tant attendu est arrivé. Lever aux aurores, marche d’approche à la fraîche, on est très efficaces sur le sentier des Charbonniers qui mène au départ de l’arête. Après une rapide préparation du matos et un petit briefing sur la corde tendue, nous nous élançons pour les trois cents premiers mètres de grimpe facile sur l’Arête des Charbonniers avec une vue plongeante sur le ravin du même nom, ambiance garantie. Après deux ou trois longueurs, je construis un relais et fais venir mon Nico qui me rejoint avec un grand smile. Il s’apprête à sortir son téléphone pour immortaliser l’instant, quand soudain la réalité le fait redescendre un peu violemment de son petit nuage. Son téléphone a disparu, il est tombé de sa poche.
Là faut dire que j’ai pas été très tendre avec lui, vu que le téléphone était dans une poche pas fermée. Mais bon les erreurs ça arrive à tout le monde. Du coup je suis redescendu cinquante mètres en rappel en essayant de le retrouver, peine perdue.
Alors il a bien fallu se résoudre à une petite réadaptation. Sortir de l’Arête de par le haut et redescendre par le ravin en espérant remettre la main sur le smartphone pour récupérer ce qui pourrait être récupérable. Ça m’a donné une petite occasion de réviser mes manips d’assurage du second en terrain fractionné. L’affaire s’est relativement bien terminée puisqu’on a retrouvé le téléphone dans une flaque du ruisseau. L’électronique en avait pris un coup, mais Nico a pu récupérer tous ses contacts professionnels.
Depuis il est retourné dans le Caroux avec un autre moniteur. Théo, un gars super bien qui lui a permis de passer au niveau supérieur en posant lui-même ses coinceurs, en leadant des longueurs et en finissant par arriver en haut d’une aiguille. Même si c’est pas la même, il aura fait la Vialat.
Moralité de l’histoire : l’aventure dans l’expression « terrain d’aventure », c’est de ne pas avoir l’assurance que tout va se passer comme on l’avait prévu. Il faut être prêt à accueillir les péripéties qui feront les meilleures histoires à raconter à nos petits-enfants. À méditer…
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